La fondation de Saint-Pierre par Pierre Belain d’Esnambuc, en 1635, a marqué le début de la colonisation française de la Martinique. Cette ville a été la capitale politique de la colonie jusqu’en 1692, avant de céder ce rôle à Fort-Royal (aujourd’hui, Fort-de-France) ; mais elle est restée par la suite, pendant plus de deux siècles, la capitale économique et culturelle de l’île. Pour la France des temps coloniaux, la Martinique a revêtu une importance majeure, liée à des intérêts économiques mais aussi stratégiques. Sous le règne de Louis XVI, le territoire a d’ailleurs été mis à profit pour soutenir l’armée de George Washington, pendant la Guerre d’Indépendance des États-Unis (1775-1783).
Il est sans doute révélateur que les jeunes États-Unis d’Amérique aient créé un de leurs premiers consulats en Martinique, en 1790. La mission consulaire a été confiée à Fulwar Skipwith, qui s’est naturellement établi à Saint-Pierre. La ville, enrichie par le commerce du sucre et l’activité portuaire, avait connu un développement remarquable. Cela dit, Skipwith a exercé ses fonctions dans des conditions précaires, alors que la Révolution Française agitait la Martinique. Il a quitté l’île, qui commençait à être occupée par les Britanniques, en 1794.
Il a fallu attendre la restitution de la Martinique à la France avec la Paix d’Amiens, en 1802, pour que les États-Unis envoient un nouveau représentant dans la colonie antillaise : l’agent commercial David Easton. La présence consulaire américaine, quant à elle, a été rétablie en 1815 avec l’installation, au poste de consul, de John Mitchell. A partir de là, les consuls des États-Unis en Martinique se sont succédé à Saint-Pierre jusqu’en 1902. Ceux qui sont restés le plus longtemps dans ces fonctions sont Gabriel G. Fleurot (1844-1852), diplomate d’origine française, et Alexander Campbell (1852-1861). Certains consuls ont manifesté un attachement émouvant à la Martinique. « The island itself was a dream of Paradise », écrivait ainsi, en 1902, William A. Garesché, consul des États-Unis en Martinique de 1886 à 1891.
William A. Garesché, consul des États-Unis à Saint-Pierre de 1886 à 1891.
Photo : L. G. Stahl. Source : Garesché 1902.
Outre le chef de mission, l’équipe du consulat comprenait un vice-consul, un assistant et, au moins dans la seconde moitié du XIXe siècle, un agent consulaire en poste à Fort-de-France. Le consulat se consacrait activement à la promotion du commerce avec les États-Unis et était très impliqué dans la défense des intérêts stratégiques étatsuniens aux Antilles. Ses agents ont ainsi réalisé un travail de renseignement méthodique durant la Guerre Hispano-Américaine (1898), qui a vu passer en Martinique des navires de guerre des deux puissances belligérantes. Ce conflit, perdu par l’Espagne, a entraîné l’annexion de Porto Rico par les États-Unis, l’indépendance de Cuba (envahie ensuite par l’armée des États-Unis) et d’une façon générale, un renforcement considérable de la présence nord-américaine dans la Caraïbe.
Le consulat des États-Unis à Saint-Pierre à la fin du XIXe siècle.
Photo : L. G. Stahl. Source: Garesché 1902
Dans l’histoire du consulat des États-Unis en Martinique, Thomas T. Prentis mérite une mention particulière. Il a été consul des États-Unis aux Seychelles, à l’île Maurice puis à Rouen, en France, avant d’exercer ces mêmes fonctions à Saint-Pierre, à partir de 1900. A l’époque, le « Petit Paris des Antilles », comme on surnommait Saint-Pierre, comptait environ 26 000 habitants et pouvait s’enorgueillir, entre autres, d’un port très dynamique (près duquel était situé le consulat), d’un éclairage public électrique, d’un phare-sémaphore, d’un tramway hippomobile, d’une chambre de commerce, d’un hôpital psychiatrique, d’un jardin botanique et d’un théâtre de 800 places. Des navires marchands nord-américains fréquentaient régulièrement la rade de Saint-Pierre.
Localisation du consulat des États-Unis sur une carte de la ville de Saint-Pierre,
publiée par Jean Hess en 1902.
Le consul Thomas T. Prentis et sa famille.
Photo : L. G. Stahl. Source: Garesché 1902.
Mais la brillante cité allait connaître un sort tragique. En 1902, le consul Prentis, et plus encore son épouse Clara, ont exprimé l’inquiétude que leur inspirait le regain d’activité de la Montagne Pelée, malgré les discours rassurants des autorités coloniales, qui se refusaient à faire évacuer la ville. Les Prentis envisageaient de quitter Saint-Pierre, quand ils ont été tués par l’éruption cataclysmique du 8 mai, de même que leurs deux filles, le vice-consul des États-Unis Amédée Testart, l’assistant consulaire de la mission nord-américaine, les consuls du Royaume-Uni et des Royaumes Unis de Suède et de Norvège en Martinique, le chargé d’affaires du consulat d’Italie, les vice-consuls des Pays-Bas et du Mexique, le maire de Saint-Pierre Rodolphe Fouché, le gouverneur de la Martinique Louis Mouttet et quelque 30 000 autres personnes. L’agglomération pierrotine était réduite à un champ de ruines.
Fouille des ruines du consulat des États-Unis à Saint-Pierre
par l’équipage de l’USS Potomac, en mai 1902.
Photo : Judge Co. Source : Leslie's Weekly, 12 juin 1902
(une copie de cette photo m’a aimablement été fournie
par Mme Marie Chomereau-Lamotte).
Le consul des États-Unis en Guadeloupe, Louis H. Aymé, s’est rendu à Saint-Pierre dès le 10 mai, pour constater le désastre général et la mort des Prentis. Le 14 mai, le remorqueur militaire américain USS Potomac, parti de Porto Rico, est arrivé à Saint-Pierre, où son équipage a fouillé le consulat et la résidence du consul, avec une autorisation spéciale du gouvernement colonial de la Martinique (qui avait interdit les fouilles dans la ville martyre, pour éviter les pillages). Les corps de Thomas et Clara Prentis ont été retrouvés le 19 mai, tandis que les dépouilles des deux filles du couple n’ont pu être formellement identifiées. Les restes des époux Prentis ont été transférés à Fort-de-France, où ils ont été inhumés avec les honneurs, au cours d’une cérémonie funèbre conduite par le consul Aymé et des officiers américains. Le consul Prentis sera honoré par le Département d’État des États-Unis, et en 1935, l’ingénieur et volcanologue américain Frank Alvord Perret lui dédiera un mémorial à Saint-Pierre.
La catastrophe du 8 mai 1902 a eu un grand retentissement aux États-Unis, dont le gouvernement s’est fortement engagé dans les opérations de secours qui ont suivi. Le 10 mai, le président des États-Unis, Theodore Roosevelt, envoyait ce télégramme au président de la République française, Émile Loubet : « I pray your Excellency to accept the profound sympathy of the American people in the appalling calamity which has come upon the people of Martinique ». Quelques semaines plus tard, Roosevelt nommera un nouveau consul pour la Martinique : John F. Jewell, qui prendra son poste à Fort-de-France.
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